Violences de l’école et à l’école : Quelles responsabilités pour  les acteurs?

La violence, nous pouvons la définir comme l’exercice  de la force à l’égard d’un individu contre son gré ; elle peut être verbale, physique, morale et psychiatrique. Elle est tellement répandue qu’on peut, peut être, penser que la violence est inhérente à la nature humaine. En fait, beaucoup d’analyses anthropologiques faites par des philosophes confirment  cette agressivité naturelle: Hobbes, Machiavel, Kant, Nietzsche ainsi que Freud peuvent être cités. Pour ce dernier,  la société moderne est menacée  sans cesse de ruine à cause de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres.

Comme dans toutes les sphères sociales, l’école, où évoluent des individus, n’échappe pas à la violence : les rapports interpersonnels sont souvent source de conflits. Enseignants,enseignés, administration sont victimes de violences sous toutes ces formes.Quelques cas d’agressions ont particulièrement attiré mon attention dans certains établissements. Au lycée de Thiaroye,  un élève avait planté une aiguille sur la chaise du bureau avec l’intention de blesser son  professeur de SVT et avait activé son téléphone pour  filmer la scène dans l’éventualité de partager sur les réseaux sociaux  la mésaventure du collègue qui a échappé de prés au piège. L’auteur des faits, qui s’est manifesté après des menaces de renvoi collectif, en voulait à son professeur parce que ce dernier l’avait pris en flagrant délit de tricherie.  Et c’est dans cette même classe qu’un élève a blessé avec une arme blanche  son camarade pour une affaire de téléphone volé. Tous ces cas d’agressions se sont passés dans une classe de seconde L, à l’effectif  pléthorique, où on compte au moins 99 élèves dans un lycée de la banlieue dakaroise. Au lycée Limamoulaye, dans le gouvernement scolaire où on est censé former le citoyen puisque ce cadre permet aux élèves de prendre en charge les préoccupations de la communauté éducative de manière démocratique et responsable, la police a intervenu pour régler des tensions internes. À kaffrine, dans un collège, une dame qui entrait en classe en même temps que ses élèves s’est vu taper les fesses par un de ses élèves.  Ce qu’elle a vécu comme une véritable humiliation, au même titre que son mari qui est un collègue. À keur massar dans la banlieue dakaroise, dans le lycée zone de recasement, le censeur, un homme pourtant très serviable et calme, s’est battu avec un élève qui avait refusé de sortir de la classe pour répondre à une convocation de l’administration.

L’agression d’une jeune collègue, professeur de philosophie au lycée de Kebemer, étranglée par son élève à qui elle avait  reproché ses retards répétitifs et un comportement indigne d’un élève qui prépare un examen, a particulièrement attiré mon attention  à cause des développements qu’a connus l’affaire : notre jeune collègue avait porté plainte contre son élève et les acteurs ( professeurs, syndicats, parents-d’élèves,camarades de l’accusé et autorités administratives) n’avaient pas les mêmes appréciations sur la gravité des faits et les sanctions proposées par le conseil de discipline.

Il faut rappeler que dans les établissements du moyen secondaire, il ya un conseil de gestion organisé par l’arrêté N° 2000-337 du 16 Mai 2000. La section permanente de ce conseil  comprend un conseil intérieur et un conseil de discipline. Ce dernier se réunit, à chaque fois qu’il est saisi, pour se pencher sur des cas d’indiscipline. Au niveau du lycée de Kébemer, la decision rendue par le conseil de discipline a été contestée par le corps professoral et les sections syndicales puisque l’élève agresseur n’a pas été renvoyé comme l’avait exigé le collectif des professeurs, la victime qui avait décidé de mettre fin à la procédure judiciaire  en espérant qu’elle ne va plus croiser dans l’enceinte de l’école son agresseur. Malgré, la gravité des faits, l’élève s’en est bien sorti avec un renvoi de 07 jours et un changement de classe. Cette decision clémente est justifiée: l’élève agresseur a reconnu les faits et regretté son acte; certains témoignages croisés (Enseignants, camarades de classes, surveillants et tuteurs) justifient le comportement violent agressif de l’élève, qui précédemment a connu un traumatisme familial, des problèmes de santé. Sans avis médical d’un psychiatre ou d’un psychologue pour évaluer des problèmes comportementaux. On a, ainsi, plaider une folie passagère pour laisser un agresseur se pavaner encore dans la cour de l’école au grand dam de notre collègue, une dame  qui va se sentir très gênée de revenir dans la classe où elle a été agressée, humiliée, intimidée dans son lieu de travail. Je pèse bien mes mots en parlant d’intimidations : on pense généralement que l’intimidation est une question d’agissements ou de commentaires verbaux susceptibles de causer du tort « psychologiquement » à une personne. Je n’exagère rien non plus: la peur, l’anxiété, la culpabilité, la honte, l’isolement, l’atteinte de l’estime de soi, perte de motivation, image de soi négative, sentiments d’impuissance sont des réactions prédominantes dans le tableau clinique des victimes d’agression.

Le fait d’insister sur les cas des collègues victimes de violence dans l’exercice de leur fonction, ne doit pas nous faire oublier les formes de violences répertoriés  chez les victimes -élèves, dont les bagarres, les insultes, les coups, les injures, les agressions physiques.

Qu’on ne me dise pas que ce que les anglo-saxons désignent par le « schoolbullying », c’est-à-dire un harcèlement fait de brutalités, d’insultes quotidiennes d’une suite continue de ce que l’on nomme aussi des « microviolences», est une affaire du monde des « toubab » caractérisé par un désenchantement… pour reprendre une idée développée par mon ami le docteur Mouhamadou Lamine Sall, formateur à la Fastef (Dakar),dans sa thèse.

D’ailleurs, pour être honnête, on peut dire que nous avons tous été témoins ou victimes de violences scolaires parce que nous avons été élèves  ou nous continuons à violenter nos élèves parce que nous sommes devenus enseignants : Les enfants, dans leur majorité, sont confrontés à la violence à l’école. Des enfants sont battus, enfermés ou fouettés par les autorités scolaires, qui ont pour mission pourtant de les protéger de la violence.

Il se pourrait aussi que tous les élèves du Sénégal soient ou aient été victimes de violence. En effet, les violences subies sont nombreuses : injustices présentes ou passées ; maltraitances familiales. Et à coté, il y a la violence sournoise, symbolique de l’école, la violence institutionnelle celle dont parlent Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron. Pour ces deux sociologues de l’éducation : L’école est devenue une « machine à exclure » injuste et brutale. C’est ainsi que les élèves ne font que riposter par leur violence, à l’arbitraire des contenus et décisions imposés, des notes, des sanctions et au déficit d’écoute et de dialogue qui caractérise l’école. Par exemple, en décidant de supprimer cette année l’épreuve anticipée de Philosophie on a pas recueilli l’avis des élèves. Ces derniers n’ont pas bien accueilli cette nouvelle qui va les surcharger:quand j’ai annoncé la nouvelle à mes élèves, ils n’étaient pas enthousiastes.

L’enseignant que je suis est solidaire et regrette que des élèves agresseurs s’en sortent  avec des renvois temporaires, jugés insuffisants par les collègues, mais, en tant qu’expert, je me permets de rappeler que la place de l’élève est à l’école,  un lieu où savoirs et pratiques s’entrecroisent pour le développement harmonieux de l’individu, du citoyen à former. Rappelant la centralité de l’élève, une idée chère aux défenseurs de l’école nouvelle, Olivier Reboul notait que « l’école est un royaume dont le prince est l’élève ». Un élève qu’on doit choyer, aimer et respecter. Qu’on n’oublie pas qu’aujourd’hui  l’éducation bienveillante est un nouveau dogme éducatif : je l’ai rappelé récemment à mes collègues à l’occasion d’une rencontre de la cellule d’animation pédagogique départementale, sans être compris, pour l’avoir développée dans une de mes réflexions.(https://lequotidien.sn/leducation-bienveillante-un-nouveau-dogme-educatif/).

Et, tout commence dans la classe par la relation interpersonnelle,  le respect que l’enseignant doit vouer aux enseignés, des partenaires de la relation pédagogique. D’ailleurs, pour se faire respecter, l’enseignant doit commencer par respecter la personne, les choix de ses élèves, se garder de tout jugement de valeur, faire preuve de justice, garder sa sérénité, son calme…. Dans une autre réflexion, j’attirais l’attention sur l’importance du premier cours de l’enseignant, communément appelé Prise de contact: ce que les enseignants peuvent rappeler à leurs élèves. Le premier contact est un cours stratégique car en matière de règles pour le fonctionnement du groupe classe c’est dès le début qu’il faut fixer les règles du jeu.(https://senexalaat.com/2016/10/20/prise-de-contact-ce-que-les-enseignants-peuvent-rappeler-a-leurs-eleves/).

Jacques Fortin, rappelle une recommandation savoir désamorcer : il s’agit pour l’enseignant d’être vigilants, d’anticiper sur les problèmes, ne pas jouer à la politique de l’autruche, installer un climat convivial, favorable à la discussion avec une gestion juste et rigoureuse des sanctions (violence à l’école sensibilisation, prévention, répression, Fortin, 2000).

Il s’y ajoute que la sécurité des enseignants dans l’établissement, leur intégration, surtout celle des débutants sont essentielles car la peur, le manque de confiance en soi ne sont pas pour rassurer les élèves. Une bonne politique de communication s’avère, ainsi, nécessaire. Le dialogue, comme alternative à construire, passera avec des textes, un règlement intérieur objet « d’un travail partenarial » impliquant tous les acteurs, même les élèves qui ont leurs mots à dire.  Mais, c’est dommage de le  constater: on parle de centralité de l’élève sans y croire et les réformes n’ont pas changé les comportements. Certaines  routines scolaires et pratiques dignes de la pédagogie traditionnelle relèvent d’une violence symbolique qui engendre de profonds sentiments d’injustice pour de nombreux élèves.

Je comprends bien la galère  de mes collègues : »entre emprise et déprise », les enseignants que nous sommes doivent faire face à de nouvelles exigences de polyvalence et de polycompetences et de satisfaction de leurs usagers, les élèves (Flora Yacine, 2016) sans être préparés à ce nouveau management qui s’est introduit à l’éducation. Et la scolarisation pour tous, la massification ont eu pour conséquence d’avoir fait entrer au collège, au lycée et même dans l’enseignement supérieur des publics nouveaux, dont parle F.Dubet, des élèves différents du portrait des « héritiers », dont parlait Bourdieu, qui étaient  sélectionnés et préparés. Je pense à ceux qu’on trouve, aujourd’hui, au Lycée des jeunes filles de Mariama Ba, au lycée d’excellence de Diourbel, au Prytanée militaire où généralement on a pas de cas d’indiscipline notoire. Il faut le reconnaître beaucoup de nos élèves des milieux défavorisés sont des » inadaptés »  aux études secondaires puisqu’ils en ignorent, selon Dubet, tous les codes culturels sous-jacents.  Ces élèves, pour qui le sens de l’école ne va plus de soi, font entrer dans l’école des cultures et des attitudes qui en étaient jusqu’alors exclues. « Tous les  latents, toutes les connivences entre les enseignants et les élèves se sont brisés ». ( F.Dubet, École, la question du sens, in Éduquer et former sous la direction de Martine Fournier, 2016, Auxerre,p.406).

Il est important de rappeler que nous ne sommes pas dans un ministère de l’enseignement, mais dans le ministère de l’éducation où la mission d’éducation nous incombe malgré les problèmes, les difficultés. On a affaire à un nouveau type d’élève au profil différent de l’élève d’antan, souvent pas conscients qui ignore tout du métier d’élève et qui  comptent plus sur nous enseignants, que sur leurs parents ou tuteurs pour se sentir en sécurité, pour être motivés, pour comprendre l’importance des études, celle d’être bien formé  pour réussir dans « un monde d’incertitudes » dont parle Edgar Morin. Pour ce philosophe français, dans l’éducation, la première action consisterait à admettre les incertitudes liées à la connaissance, à parier sur l’aventure incertaine de l’humanité. Ensuite, s’ouvrirait le chemin, la stratégie pour apprendre à les affronter.(E.Morin, 1999)

 

C’ est dommage aussi de constater pour le déplorer la démission des parents: du fait certainement de la précarité de la vie, ils ne jouent plus leurs rôles. Mais, Certains  de nos élèves ont besoin plus d’être aidés, accompagnés, que d’être blâmés ou sortis de l’école et envoyés dans la rue. Cette mission d’éducation ne fait, certes, pas l’unanimité, mais avons-nous vraiment le choix face au délitement des valeurs  et les enjeux, l’avenir de nos enfants , dont notre futur dépend?

Les difficultés sont certes nombreuses et à tous les niveaux de responsabilités, on a des raisons de se plaindre mais, malgré tout, on peut garder espoir en continuant de parier sur l’éducation de nos enfants. Le prédicateur turc, Fethullah Gülen, aujourd’hui en disgrâce dans son pays, rappelait toujours que l’éducation est un puissant moyen pour résorber les problèmes sociaux. Gottfried Leibniz, disait : « L’éducation peut tout : elle fait danser les ours ».

Nous devons être des adultes référents. L’enseignant  est avant tout un adulte : c’est en occupant sa place d’adulte, dans une relation asymétrique bienveillante, que l’enseignant commence à devenir un référent, digne de respect pour les élèves.

L’autorité éducative dont parle Véronique Guerin, il faut encore le rappeler, est essentielle dans un métier du social,  « L’art d’éduquer, ce métier impossible » pour reprendre Montaigne, suppose plus qu’une maitrise des contenus à enseigner. Dans le résumé de son ouvrage A quoi sert l’autorité ? S’affirmer-respecter coopérer ?,(Guérin,2001) on peut lire : l’évolution de la société a profondément modifié les rapports éducatifs. Parents, enseignants et éducateurs sont parfois seuls et démunis face aux comportements des enfants et adolescents d’aujourd’hui et ont envie de baisser les bras. Pourtant, entre l’autoritarisme, qui mène à la soumission et à la révolte, et la permissivité, qui mène au laxisme et à la perte de repères, il existe une troisième voie éducative qui développe chez l’enfant et l’adolescent la connaissance de lui-même, le respect d’autrui et l’aptitude à coopérer.

Je respecte beaucoup les membres du conseil de discipline, qui se sont penchés sur l’agression de notre collègue, professeure de philosophie à Kébemer : ils  ont compris que la maltraitance, dont les élèves sont victimes dans leur environnement familial, se traduit par des réactions à l’endroit de leurs condisciples ou des enseignants. Mais, ils auraient dû attendre l’avis médical d’un spécialiste pour motiver leur decision : si cet élève connait régulièrement des moments de folies passagères, sa place ne doit plus être à l’école car il constitue une menace pour la communauté éducative du lycée Macodou Kangue  SALL de Kébemer.

 

Bira SALL Professeur de Philosophie au Lycée Ababacar S’y de Tivaouane. Chercheur en Éducation et Formation.

sallbira@yahoo.fr

 

 

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